
Evaluer et surveiller les médicaments ? La mission est si cruciale qu'elle doit être reconnue au même titre que les soins, la recherche et l'enseignement. C'est sur cet impératif que Bernard Debré et Philippe Even, après le scandale du Mediator ont articulé leur rapport remis au ministre de la Santé Xavier Bertrand et à Nicolas Sarkozy. Ce dernier, proche de Jacques Servier et soucieux d'éteindre l'incendie, avait chargé les deux professeurs de réfléchir en urgence à une refonte du système. Le rapport, remis avant même que les missions parlementaires et l'Igas achèvent les leurs, doit servir de base à une loi promise à la rentrée prochaine. A moins qu'il ne soit jugé trop volcanique...
La réforme emprunte l'essentiel à la FDA (Food and Drug administration) américaine : non plus 3.500 experts souvent extérieurs, plus ou moins compétents, comme dans le système actuel de l'Afssaps, mais 40 têtes choisies pour leur excellence et très bien rémunérés. Ils seraient chargés, avec l'aide de spécialistes désignés par leurs soins, d'instruire les dossiers des médicaments après avoir auditionné, en séance publique, les représentants de l'industrie pharmaceutique mais aussi ceux de l'assurance maladie, les associations de patients, et les généralistes. Responsabilisation des experts et des dirigeants, qui seraient obligatoirement des médecins, transparence sous peine de sanctions en cas de conflit d'intérêt, simplification, sont les axes clés du système proposé. L'Afssaps, irrémédiablement entachée disparaît au profit d'une nouvelle "Agence du médicament", composée de deux départements autonomes, la phamacovigilance et l'agence de l'évaluation du médicament, chacune référant à un directeur général, en liaison direct avec le ministre de la Santé.
Philippe Even et Bernard Debré en appellent à un nouvel "état d'esprit" : en quarante ans le système aura favorisé l'apparition de 2.000 molécules sous 4.500 marques et présentations différentes, dont une majorité inutile. 28 % de ces molécules sont classées "majeures" ou " importantes" ; des autres, on pourrait se passer. Les auteurs expliquent cette dérive en retraçant l'histoire du médicament. L'essentiel de la pharmacopée ayant été découverte entre 1945 et 1985, l'industrie pharmaceutique est entrée, depuis, dans ses"années grises". Elle va de semi succès en échecs, ce qui contraste avec l'immense succès financier basé sur le lobbying politique, le marketing, les demi-mensonges. Les professeurs n'hésitent pas à mettre en cause des acteurs jusqu'à ce jour oubliés. Le Vidal, le dictionnaire soi disant fiable des médicaments, est plein d'erreurs et d' "oublis" gravissimes. Le Quotidien du médecin, financé par l'industrie pharmaceutique et pourtant source principale d'"information" des généralistes, a participé à la désinformation des soignants – "endoctrinement", disent les auteurs.
Anne Crignon et Sophie des Déserts - Nouvelobs.com